
Les 15 et 16 février 2007 s’est tenu la XXIVe Conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France à Cannes. Les relations entre la France et l’Afrique sont très anciennes et pour le moins ambiguës. Ce sommet est l’occasion de dresser un bilan de la « Françafrique » (expression de l’ex-président Ivoirien Félix Houphouët-Boigny), la partie méconnue des relations franco-africaines de ces 50 dernières années.
La naissance de la Ve République intervient en pleine guerre d’Algérie. Le nouveau régime français doit se construire dans une période trouble, marquée par la décolonisation.
Malgré une indépendance officielle des Etats africains, se met en place à partir de 1960 la « cellule africaine de l’Elysée ». Le général de Gaulle veut en effet garder des liens privilégiés avec ce continent. Cela se traduit par une politique paternaliste qui est censée faciliter le développement des jeunes Etats africains. L’objectif plus inavoué est de garder une mainmise sur ces pays, dont la France a besoin, que ce soit sur le plan politique ou économique.
Le général de Gaulle nomme ainsi en 1960 Jacques Foccart « Secrétaire général de l’Elysée aux affaires africaines et malgaches », poste qu’il occupera jusqu’en 1974. Il est le « Monsieur Afrique » de l’Elysée. Foccart a mené une politique souterraine durant de nombreuses années, sur ordre du président français. Il avait des relations très étroites avec les dirigeants africains, et a installé au pouvoir nombre d’entre eux au moment des indépendances. Mais ces derniers ne devaient pas s’écarter de la politique prônée par la France, sous peine de se voir démettre par le même Foccart.
Le premier coup d’état sanglant de l’Afrique indépendante est un exemple de cette politique menée dans l’ombre par la France. Sylvanus Olympio, premier président du Togo, est assassiné le 13 janvier 1963. Ce coup d’état a été soutenu par les réseaux de Foccart, le président togolais s’écartant trop de la tutelle française.
Un épisode oublié de l’histoire : le massacre des BamilékéLe 1er janvier 1960, après l’indépendance du Cameroun, Foccart installe son ami Ahmadou Ahidjo au pouvoir. Aussitôt, un accord de coopération militaire est signé avec la France. Il existe alors au Cameroun un groupe de nationalistes radicaux, l’UPC, notamment composé du peuple Bamiléké. Le président Ahidjo veut neutraliser ce mouvement et la France, qui craint que ce groupe ne déstabilise le pays, va l’aider. Le général de Gaulle dépêche sur place cinq bataillons. Entre février et mars 1960, 56 villages Bamiléké sont incendiés et rasés par l’armée régulière française. Certains parlent de génocide concernant ce peuple (entre 60 000 et 400 000 morts selon les sources). Le 20 octobre 1960, le chef de l’UPC, Félix Moumié, est assassiné à Genève. La répression des membres de l’UPC va durer jusque dans les années 70. Le Ministre des armées de l’époque, M. Guillaumat dira : « C’est la première fois qu’une révolte d’une telle ampleur est écrasée convenablement ».
A partir de la présidence de François Mitterrand, il n’y a plus eu un unique réseau comme du temps de Foccart, mais plusieurs, dont celui du nouveau « Monsieur Afrique » de l’Elysée, Jean-Christophe Mitterrand (ou « Papa m’a dit »). Celui-ci a été « Conseiller pour les affaires africaines » entre 1986 et 1992. En 1993 il est mis en examen pour complicité de trafic d’armes avec l’Angola (la justice ne s’est toujours pas prononcée sur cette affaire). Les réseaux de Charles Pasqua sont également très influents à cette époque.
L’affaire des ventes d’armes à l’Angola ou « affaire Falcone »Pierre Falcone est un négociant en contrats pétroliers et en armement. Il a été au centre de l’affaire des ventes d’armes en Angola en 1993-94, alors qu’un embargo interdisait la commercialisation d’armements vers ce pays. Le trafic s’est fait notamment sous couvert de la société Sofremi, une société dépendant du ministère de l’intérieur, alors dirigé par Charles Pasqua. La classe politique française aurait largement bénéficié du trafic juteux de Pierre Falcone, notamment le parti politique de M. Pasqua, le RPF. Falcone est depuis 2004 sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour son implication dans les ventes d’armes à l’Angola. Cependant, il bénéficie de l’immunité diplomatique, ayant été nommé en 2003 ambassadeur à l’Unesco par l’Angola, en remerciement de « sa contribution en faveur de l’Angola » (le pays avait besoin d’armes dans sa guerre contre les rebelles de l’Unita).Les différents réseaux politico-financiers ont toujours fonctionné dans l’ombre.
Ces dernières années cependant, des affaires ont permis de mettre à jour une partie des transactions et manœuvres politiques s’effectuant secrètement.
« L’affaire Elf »Cette affaire politico-fiancière a éclaté en 1994. L’instruction a révélé un vaste réseau de corruption : l’entreprise publique née en 1967 de la fusion de plusieurs entreprises pétrolières françaises, bénéficiait de la bienveillance voire du soutien de l’exécutif français dans ses agissements pour la protection des intérêts pétroliers de la société. Dès sa création, la priorité d’Elf a été de sécuriser le pétrole africain, l’approvisionnement pétrolier français étant considéré comme un enjeu majeur. Elf possède son propre service de renseignement, et s’implante d’abord au Gabon, portant au pouvoir Omar Bongo, ancien agent des services secrets français. La société a été impliquée dans la guerre civile en Angola, qui possède d’importants gisements pétroliers, l’ex-PDG Le Floch-Prigent reconnaissant avoir financé et armé les deux parties au conflit. Il en a été de même au Congo Brazzaville, Kofi Annan avouant que « le problème du Congo, c’est la France ». La société a été privatisée en 1994 et a fusionné avec Total en 2000, pour créer le géant pétrolier TotalFinaElf, 4e mondial. Même si l’Etat semble moins impliqué aujourd’hui, la multinationale reste guidée par l’approvisionnement de la France en pétrole, avant toute autre considération.Les interventions militaires françaises sur le continent africain ne peuvent plus se faire dans le secret comme auparavant. Le conflit actuel en Côte-d’Ivoire a permis de dévoiler l’action de la France, qui a certes servi de force tampon entre les différentes factions, mais reste très préoccupée par les intérêts français dans le pays. Les entreprises françaises détiennent tous les secteurs clés du pays et veulent les conserver, malgré les réticences de Laurent Gbagbo.
Il semble cependant que nous arrivions à la fin d’une époque, marquée symboliquement par la XXIVe conférence franco-africaine de Cannes. En effet, c’est le dernier sommet mené par Jacques Chirac, qui a fait ses adieux aux différents chefs d’Etat africains.
Signe fort, c’est la première fois que le Président de l’Union européenne était présent à une telle rencontre, en la personne d’Angela Merkel. L’Union européenne pourrait ainsi prendre le relais de la France dans les relations avec l’Afrique.
Les liens entre la France et l’Afrique semblent se desserrer et des pays, avides de nouveaux marchés et de ressources naturelles, en particulier les Etats-Unis et la Chine sont à la porte, et sont même déjà entrés.
En novembre 2006 s’est tenu à Pékin le « Forum de coopération Chine-Afrique » qui a rassemblé une quarantaine de chefs d’Etat africains.
Lors du sommet de Cannes, Jacques Chirac a appelé les candidats à la présidentielle à se rappeler de l’importance du continent africain. Ceux-ci ont affirmé leur volonté de faire preuve de transparence, et de tenir « un langage de vérité » concernant les relations franco-africaines. Pour cela, ils devront garder à l’esprit un proverbe togolais : « Là où l’argent parle, la vérité se tait ».
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