Le 17 décembre dernier, Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant de fruits et légumes à Sidi Bouzid, se faisait confisquer toute sa marchandise par la police parce qu’il n’avait pas d’autorisation. Après avoir vainement tenté de plaider sa cause devant les autorités locales, il s’immole par le feu devant le siège du gouvernorat. Mohamed Bouazizi a succombé à ses blessures le 4 janvier, sans avoir été témoin de la fuite de Ben Ali devant la révolte populaire qui a suivi son acte de désespoir.
Les événements qui se sont déroulés ces dernières semaines en Tunisie, que l’on appelle déjà « la révolution du Jasmin », sont exceptionnels dans leur intensité et leur dénouement. Rares sont les moments où un peuple a rendez-vous avec son Histoire. En l’espace d’un mois, les Tunisiens viennent d’écrire la page la plus importante pour leur pays depuis l’indépendance obtenue par Habib Bourguiba en 1956.
Le départ du président Ben Ali devant la pression populaire est une première dans le monde arabe. Cette issue est symptomatique de la fin d’un régime dictatorial : la fuite d’un chef d’Etat qui n’a jamais accepté l’exercice d’une quelconque responsabilité face à ses actes. On ne peut que se réjouir qu’un Etat autoritaire tombe et surtout que le peuple tunisien ait pris son destin en main. Bien sûr, la Tunisie connaissait un certain essor économique et des avancées sociales avec notamment des universités et des hôpitaux très performants. Mais le musellement de toute opposition, la mainmise du clan Ben Ali sur tous les leviers de pouvoir et l’organisation d’un Etat corrompu étaient devenus intolérables pour la population tunisienne.
Pour le symbole, il était très important que la France, qui a toujours soutenu Ben Ali, refuse d’accueillir le président en fuite. Après avoir été très discrète sur ces événements tunisiens, puis très maladroite avec les mots de Frédéric Mitterrand (« Dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré ») qui ont concurrencé ceux de Michèle Alliot-Marie (« Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type »), il était temps que la France marque clairement son soutien au peuple tunisien.
Ce soulèvement populaire a été également marqué par la force d’internet et des réseaux sociaux, théâtre virtuel de la révolte qui a accompagné et même propagé le message des manifestants tunisiens pour former une véritable révolution 2.0. Le web est souvent décrit comme un outil d’asservissement, sachons reconnaître qu’il peut aussi être un outil de liberté incontrôlable pour un appareil policier.
Alors, peut-on annoncer, comme certains le font déjà, la propagation de ce mouvement de révolte dans d’autres pays arabes aux régimes autoritaires ? Il est très difficile de répondre à cette question tant les spécificités nationales, culturelles et historiques de chaque pays sont différentes. Le peuple tunisien a montré un chemin pour reprendre sa destinée en main, à chaque pays de trouver le sien. Les calculs géopolitiques trop avancés sur cette question sont encore précipités.
Cette « révolution du Jasmin », qui a malheureusement coûté la vie à plus de 80 personnes, est avant tout un signe d’espoir pour le peuple tunisien. Il faut espérer que ce vent de liberté qui s’est levé en Tunisie ne soit pas étouffé par les luttes de pouvoir qui vont forcément avoir lieu et qu’il soit préservé des dérives autoritaires et intégrismes islamistes.
En 1987, Habib Bourguiba, le père de l’indépendance devenu un autocrate paranoïaque, était renversé par Ben Ali. Son arrivée avait suscité une vague d’espoir immense pour les tunisiens. 23 ans après, espérons que son départ marque le début d’une ère nouvelle en Tunisie et que les déceptions de l’histoire passée ne se répètent pas.